CHAPITRE 1

- Rappelle-moi encore une fois le nom du benêt que tu dois prendre pour époux, ma chère sœur.
- Tu le sais très bien, ne prétends pas le contraire. Et cesse de parler de lui ainsi.
- Pourquoi t'en soucies-tu ?
- Parce que je dois l'épouser, et je le ferai. Je lui dois le respect, et toi aussi.
- Tout ceci est grotesque. Tu n'es même pas éprise de lui.
- Qu'en sais-tu ? Et puis, cesse de me blâmer. Je fais ce que l'on attend de moi, et je le fais pour le bien de notre famille.
- Qu'en est-il de ton propre bonheur, Brionna ?
- Mon propre bonheur ? Mais je n'ai guère le temps d'y songer. Je dois faire ce que Père demande. Pour lui, pour Mère, et pour toi, mon frère. Pour l'honneur de notre famille.


La discussion était close, Frodo le savait. « L'honneur de notre famille. » De belles paroles, voilà tout. Il n'insisterait plus, du moins pour ce soir. Il s'était mis en tête de raisonner sa sœur Brionna, il ne souhaitait nullement qu'elle épouse ce bon à rien de Tomas Tinsley. Héritier d'une famille de sang pur, le mariage entre les deux familles avait pour but de faire bonne figure, et ceci des deux côtés. Tomas Tinsley était si sot et si vipérin que seul un mariage arrangé pourrait lui permettre de trouver une épouse. Quand à la famille Norwood, après l'union du père de famille avec une fille de moldus, le mariage de leur fille aînée avec un hériter de sang pur redonnerait du prestige à la famille. Du moins c'était ce que Perceval Norwood avait jugé bon de faire.

Le deuxième enfant de la famille, Frodo, était en défaveur de cette union. Mais il savait pertinemment que jamais il n'arriverait à faire changer Père d'avis. Alors il tentait de convaincre sa sœur Brionna de refuser, mais celle-ci avait pris sa décision : elle allait épouser le fils Tinsley. Elle disait que c'était ce qu'elle devait faire, qu'elle n'avait pas d'autre choix. Mais Frodo savait que ce n'était que calomnies : elle était si belle, si charitable et si aimante qu'elle n'aurait aucun mal à trouver un mari digne de sa bonté. Mais elle en avait décidé autrement, et elle était, tout comme son frère, butée et obstinée. Le jeune homme était persuadé que sa sœur ne pouvait pas être, en dépit de ses dires, entichée de l'individu qu'elle devait épouser. Qui le pourrait ? Mais elle allait l'épouser tout de même, car c'est ainsi qu'elle était, toujours prête à sacrifier son bonheur pour celui des autres, pour celui des êtres qu'elle aimait. Frodo avait toujours admiré cette qualité chez sa sœur aînée, elle avait toujours été un modèle pour lui. Seulement douze mois séparaient son âge de celui de Brionna, ils avaient grandis ensemble, partageant de nombreux et excellents moments de complicité. Brionna avait toujours pris soin de son petit frère et l'avait toujours chéri. Quant à Frodo, il l'admirait et ne pouvait rêver d'une meilleure sœur que l'était Brionna. Pour lui, elle frôlait la perfection, il n'y avait qu'à la regarder pour le penser. De longs cheveux blonds lui tombant le long du dos, une peau aussi blanche que neige, une démarche gracieuse et délicate, elle avait une distinction olympienne. Son frère quant à lui avait des cheveux aussi obscurs que la nuit et une peau hâlée. Aussi antithétiques que le jour et la nuit, cela n'enlevait rien à la complicité qu'unissait les deux enfants Norwood.

CHAPITRE 2

1 an plus tard – été 1999
Le mariage avait eu lieu, Frodo avait échoué dans sa tentative de convaincre Brionna. Les jeunes époux demeuraient désormais dans le manoir familial des Tinsley, les enfants Norwood ne se voyant qu'en de rares occasions. Frodo voyait bien à quel point sa sœur était malheureuse et triste, son visage avait changé, ses traits s'étaient endurcis, et ses sourires étaient faux. Elle avait perdu l'éclat qui la caractérisait tant autrefois. Frodo en était malheureux, mais il ne pouvait plus rien faire pour elle désormais, même s'il aurait aimé la sortir de ce calvaire à tout prix. Il n'oubliait pas sa sœur évidemment et songeait souvent à elle, mais son esprit était envahi par sa nouvelle occupation : il avait rejoint les rangs de l'école Poudlard, une folie créée par quatre jeunes gens, deux hommes et deux femmes. L'idée en elle-même était captivante, Frodo avait toujours rêvé d'étudier la magie plus en détail. Et il était en quelque sorte reconnaissant envers son père qu'il haïssait tant pour ce qu'il avait fait subir à Brionna, d'avoir, avec cette union, permis à son fils d'entrer dans cette école. En effet, quand un homme vint enrôler Tomas comme futur élève dans cette école, et que celui-ci déclina l'invitation, il suggéra son beau frère. La seule idée de génie qu'il n'eut jamais eue.

Frodo quitta alors la demeure familiale pour le château de Poudlard. Dissimulé aux yeux des moldus, ces individus sans pouvoirs magiques, la pensée était astucieuse. Les cours se révélèrent enrichissants et variés, au point même que le jeune homme parvenait à songer à autre chose qu'au malheur de sa sœur bien aimée. Cependant, et il le regrettait encore affreusement aujourd'hui, il aurait du s’inquiéter encore davantage pour cette dernière, car alors qu'un fin manteau blanc recouvrait le château en un début de mois de décembre glacial, on lui annonça le décès de Brionna Tinsley. La version officielle de ce malheur était que la pauvre miséreuse avait succombé de fatigue. Balivernes ! Tomas ne se préoccupait guère de la santé de son épouse, voilà ce qu'il en avait été. Peut-être avait-elle réellement succombé à l'épuisement, mais personne n'avait pris la peine de s'en alarmer. Lui trouver une nouvelle épouse ne serait pas une rude tâche, voilà tout. La peine de Frodo était grande et terrible, il n'arrivait pas à accepter qu'on ait pu laisser s'éteindre une personne aussi merveilleuse que Brionna, le chagrin avait rapidement cédé sa place à la fureur puis à la rancœur. Une rancœur qui le dévorait de l'intérieur, qu'il ressentait tel une dague à chaque pas qu'il effectuait et qui l'éloignait du corps sans vie de sa sœur si adorée.

Le décès de Brionna, selon Perceval Norwood, était tragédie évidemment, mais Frodo était persuadé qu'il s'inquiétait davantage pour la survie de sa famille que pour la mort de sa fille. Et le jeune homme avait vu vrai, car la semaine suivant le drame, il présenta à son fils une jeune fille de bonne famille, une jeune fille de sang pur assurément. Celui-ci approuva, toujours accaparé par le chagrin. Rien ne l'importait. Il fit donc la rencontre d'Ember Kinslow, la jeune fille qu'il devait prendre pour épouse. Elle était certes jolie, mais tout ceci était sans importance pour le jeune homme, qui ne parvenait pas à chasser le visage de Brionna de son esprit. Les deux jeunes gens furent présentés selon les usages, Ember était élégante et bienséante. Frodo ne fit aucun effort et présentait un visage impassible, indifférent. Faire bonne impression ne faisait pas partie de ces priorités, mais il ne fut pas pour autant discourtois, ce n'était pas dans ses coutumes d'être incorrect.

CHAPITRE 3

Été de l'an 1000
Frodo finit sa première année d'étude paisiblement, sans qu'aucun événement majeur ne perturbe son quotidien. Il appréciait toujours autant les cours, avait fait de belles rencontres, et se plaisait dans sa maison, la maison d'Helga Poufsouffle. Il possédait les qualités que celle-ci appréciait, à savoir qu'il était un jeune homme très loyal envers ses plus proches amis, il était également juste et droit, chaque être humain ayant des droits et les autres se devaient de respecter cela. Il travaillait convenablement, considérant ses études magiques comme une échappatoire à la vie qu'on avait d'ores et déjà façonnée pour lui. Il était ambitieux, il voulait réussir et ne pas décevoir. Décevoir qui ? Lui-même l'ignorait. Peut-être voulait-il tout simplement se prouver à lui-même qu'il y avait au moins une chose qu'il pouvait contrôler, et ses résultats scolaires ne dépendaient bien que de lui. De lui seul. On lui reprochait d'être souvent trop protecteur avec ses amis les plus proches, mais il ne se souciait guère de ces remarques, c'est ainsi qu'il était. On disait également de lui qu'il était un jeune homme relativement secret, qui ne se confiait que très rarement. En effet il l'était et l'avait toujours été, la seule personne qui connaissait tous ses secrets ayant été Brionna et il ne trouverait jamais personne pour la remplacer, Frodo le savait.

La date de son mariage avec Ember n'était pas encore fixée, la famille de la jeune femme ayant jugé bon de laisser un peu de temps au jeune homme afin qu'il fasse le deuil de sa sœur qu'il chérissait tant. Ainsi, Frodo ne revit Ember qu'au début de l'été de l'an 1000, car celle-ci ne faisait pas partie des élèves de Poudlard, du moins pas encore, elle le serait à partir du mois de septembre. Il la trouva très changée par rapport à leur première rencontre. Elle arborait un air hautain, arrogant, dédaigneux. Elle était toujours aussi gracieuse et élégante, mais sa fierté était démesurée pour une jeune fille de son âge. Quelques images de leur première rencontre resurgirent, et Frodo réalisa qu'il n'avait sûrement pas remarqué tout ceci la dernière fois, trop accablé par sa perte récente. C'était pourtant si flagrant qu'il s'en voulut à lui-même d'avoir accepté un mariage si rapidement. Qu'en était-il de son propre bonheur ? Qu'en était-il de ces mots qu'il ne cessait de répéter à sa sœur, en avait-il oublié leur signification ? Mais désormais, il était impossible de faire marche arrière, il avait donné sa parole à Père et était maintenant contraint d'épouser cette jeune fille si fière, si méprisante, si prétentieuse.

C'est alors qu'il la vit. Il se trouvait au manoir des Kinslow, en compagnie d'Ember et de sa famille. Apparemment pas de toute sa famille, car une jeune fille aussi blonde qu'Ember venait d’apparaître en haut des marches menant à l'étage supérieur, dans une robe verte qui lui sciait à merveille. Elle arborait un sourire ravageur et une conduite distinguée. Frodo était subjugué par sa beauté, si bien qu'il n'arrivait pas à détourner son regard de la nouvelle venue qui descendait désormais les marches de bois. Leurs regards se croisèrent, elle avait des yeux aussi bleus que l'océan, des yeux qui se remplirent de malice quand elle se mit à rire. Frodo se demandait pourquoi elle agissait ainsi. Il lui fallu un effort surhumain pour détourner son regard de sa beauté flamboyante et pour se tourner vers le père de famille qui lui, ne riait pas. Au contraire, ses yeux débordaient de rage, et il prit immédiatement la parole.

- Regagne l'étage supérieur, immédiatement. Sur le champ, allons, hâte-toi.

Frodo ne comprenait pas. Cette jeune fille était, il en était certain, la sœur cadette d'Ember, et il ne comprenait pas pourquoi elle ne pouvait pas rester en leur compagnie. Il en avait très envie, cette jeune fille l’intriguait et le captivait. Se moquant de paraître impoli et oubliant toute retenue, il s'opposa à la décision du père de famille.

- Pourquoi cela ? Ne peut-elle pas rester ?
- C'est une idiote, une ingrate.
- Pourquoi dites-vous cela ? C'est irrespectueux.
- Ce ne sont pas tes affaires jeune homme, et toi, hâte-toi. Qu'est-ce que tu attends ?

La jeune fille regardait ce jeune homme qui venait de prendre sa défense, jamais personne n'avait agi de cette manière auparavant. Elle n'avait toujours été que l'ombre de sa sœur si parfaite, si admirable et si admirée par Père. Et voilà que le jeune homme qui devait épouser cette sœur qu'elle détestait tant plaidait en sa faveur, elle ne savait que penser et avait plongé son regard océan dans celui de ce jeune homme à la recherche d'une réponse. Frodo ne pouvait regarder ailleurs, et lisait beaucoup d'audace ainsi que de la crainte dans son regard, comme un appel au secours silencieux. Le père se leva, elle sursauta tout à coup, se retourna et franchit la première marche, puis se hâta de les franchir toutes, honteuse. Frodo était troublé, il avait lu en elle beaucoup de courage, mais ce père la dominait aisément. Il fut triste et affligé pour elle, tout ceci n'était qu'injustice. Il pria de toutes ses forces pour que sa future épouse ne refuse pas de lui répondre quand il lui demanda :

- Comment s'appelle-t-elle ?
- Ozann, elle s'appelle Ozann. Elle ira à Poudlard elle aussi en septembre, quelle bêtise. Ne fais même pas attention à elle. Elle s'est montrée vertigineusement grotesque, de rire niaisement de la sorte, ne trouves-tu pas ?

Frodo ne prit même pas la peine de lui répondre. Ozann. Ozann. Son prénom résonnait dans sa tête. Non, il ne trouvait pas. Et la pensée de la revoir à l'école fit renaître en lui une once d'espoir, sensation qu'il n'avait pas éprouvée depuis la disparition de sa sœur.